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Aux origines du football clunisois

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Si “l’enquête” sur l’histoire du football clunisois est loin d’être terminée, on s’empresse de partager avec vous une trouvaille toute récente : celle des premiers statuts de l’Union Sportive Clunysoise, retrouvés fin novembre aux Archives départementales.

USC, ASC, JS… et bien sûr UAI, la pratique du football se lit sous forme de sigles tous différents dans la première moitié du 20e siècle, sans qu’il n’y ait de chronologie précise à ce jour. 

Dans sa forme actuelle, l’Union Sportive Clunisoise a été fondée juste après-guerre, en mai 1947, comme société omnisports dont il ne reste plus que la section football au sein de l’association d’origine. Sauf que les statuts conservés par l’USC portent la date… de février 1927 (soit 20 ans plus tôt) et sont au nom de l’Association Sportive Clunisoise (ASC). 
À la même époque se fonde la Jeunesse Sportive Clunisoise, qui s’affiche clairement comme société concurrente de l’ASC. 
Sans oublier l’équipe de football de l’Union Athlétique Intergadz’arts (UAI), qui déploie son jeu “plaisant et scientifique” (évidemment !) sur tous les terrains de Saône-et-Loire.

Mais alors, de quand date l’arrivée du football à Cluny ? Qui sont les Clunisois pionniers du ballon rond ? Et à quelle date a (vraiment) été fondée l’USC ? On vous emmène dans une plongée au cœur des archives du football clunisois.

À la recherche du premier match de football à Cluny

Sans refaire l’histoire du football depuis ses origines, il est intéressant de remettre l’époque dans son contexte : au début du 20e siècle, le football est très loin d’être le sport populaire et n°1 en France qu’il est aujourd’hui. 
Si ses racines se retrouvent probablement dans la soule médiévale en France, c’est en Angleterre au milieu du 19e siècle que vont être codifiés pour la première fois les “sports anglais”. 

Parmi ceux-ci, le “football-rugby” sera le premier à s’implanter en France dans les années 1880, sous l’impulsion des britanniques venus en France pour les affaires. Les premiers clubs se développent au sein des jeunes élites bourgeoises, notamment dans les grands lycées et écoles supérieures… comme l’école des Arts & Métiers de Cluny.

L’équipe de rugby de Cluny Gadz’arts Sports, championne de France des grandes écoles 1920-1921 (collection privée).

Le “football-association” (ou “soccer”, dans sa langue d’origine) ne commence à s’organiser en France qu’à partir de 1907 au sein du Comité inter-fédéral (CFI) qui devient Fédération française de Football Association (FFA) en avril 1919 (en référence au nom de la fédération anglaise de football, The Football Association, en VO).
Juste après la Première Guerre mondiale, le football dans sa forme actuelle est donc un loisir encore mineur en France, en tout cas en rien comparable avec la gymnastique par exemple, qui atteint la grande majorité des jeunes issus des milieux populaires (on en reparlera dans un prochain article).

N’en déplaise à certains, se sont donc les Gadz’arts qui officialisent les premiers leur engouement pour le football-association à Cluny, en adhérant à la FFA dès le mois d’août 1921. On assiste alors à la naissance des premiers clubs aux quatre coins de la Saône-et-Loire : l’US Tournusienne, le SC Etangeois, l’US de Saint-Vallier, les Éclaireurs Louhannais… Le chroniqueur du Courrier sportif de Saône-et-Loire s’en réjouit dans sa rubrique “Les potins du concierge” :

Les “soccers”, comme on les appelle alors, sont si nombreux que deux équipes de Cluny-Gadz’arts-Sports évoluent sur les terrains. On s’essaie même aux pronostics dans les journaux, signe que la population se prend au jeu de ce nouveau sport même si c’est le football-rugby qui continue de faire les gros titres.

Les Gadz’arts se font rapidement un nom dans le petit monde du football-association : le 4 décembre 1921, ils reviennent vainqueurs du match amical contre l’Union Sportive charollaise, l’équipe en forme du moment qui n’a subi aucune défaite en ce début de saison 1921.
La revanche a lieu à Cluny dès le 22 janvier 1922 pour ce qui est annoncé par le Courrier de Saône-et-Loire comme “le plus grand match de football-association de l’année”, rien que ça ! Le public Clunisois est invité à venir nombreux sur la touche pour encourager les deux équipes et “récompenser les Gadz’arts des efforts considérables qu’ils font pour développer les sports”. Le match à lieu sur un terrain route de la Digue, près de l’hôtel du Cheval-Blanc (le stade du Prado n’existe pas encore) et se solde par un match nul à un but partout. L’honneur est sauf des deux côtés !

La promo 1921 des Gadz’arts de Cluny, lors d’un banquet à La Valouze en février 1921 (collection privée).

En parallèle, les instances commencent à se structurer, avec un championnat départemental et des rencontres régionales pour créer de l’émulation autour du football et faire connaître au grand public ce sport encore balbutiant mais qui grandit de jour en jour. 
Ainsi, le 11 décembre 1921, tous les “soccers” sont convoqués au stade de Chalon pour constituer l’équipe “Possible-Probable” (!) qui doit rassembler les as du ballon rond départemental. Objectif : sélectionner les joueurs susceptibles de représenter dignement la Saône-et-Loire face à l’équipe de Côte-d’Or pour le premier derby régional de l’histoire ! 

C’est dans ce contexte d’émulation autour de ce nouveau sport qu’est le football que l’on voit apparaître pour la première fois dans la presse le nom de l’Union Sportive Clunysoise, dont les équipiers sont invités à une réunion le 12 janvier 1922 au café du Nord.

Du tir militaire au football-association

C’est au sein de la Société mixte de tir, toute première association “loi 1901” créée à Cluny en mars 1904, que naît donc la première Union Sportive Clunysoise. On reviendra plus complètement dans un prochain article sur cette société qui a vu passer un grand nombre de Clunisois entre 1904 et 1941 (des hommes uniquement, car la mixité indiquée dans son objet est celle entre civils et militaires).

Les membres de la Société mixte de tir de Cluny, devant leur stand de tir (collection privée).

En 1922, lors de son assemblée générale du samedi 7 octobre, la Société mixte de tir se transforme et devient la Société de tir, de préparation militaire et d’éducation physique de Cluny. Son but est très largement étendu : alors qu’elle avait pour rôle unique “le développement de l’instruction théorique et pratique du tir” à son origine, elle se donne désormais un objet beaucoup plus large : 

On le voit, si le but ultime reste bien militaire, les moyens changent et le “sport” occupe désormais une place centrale dans l’éducation physique des jeunes gens. Ce changement sémantique n’est pas neutre, car le terme “sport” est lui aussi tout nouveau en France, et désigne plutôt des pratiques de loisirs (il tient ses origines du vieux français desport, qui désignait un divertissement). Rien d’étonnant donc à ce que le mot s’impose dans l’hexagone au milieu du 19e siècle, en même temps que les sports anglais. 

Les premiers statuts de l’Union Sportive Clunysoise, conservés aux Archives départementales de Saône-et-Loire.

Parmi toutes les disciplines citées dans les nouveaux statuts de la société clunisoise, le football-association est le seul à bénéficier d’un cadre très réglementé, avec 27 articles qui lui sont spécifiquement dédiés (aucune trace des autres sports n’a, à ce jour, été retrouvée dans les archives de la société de tir de Cluny). C’est également la première fois que l’on voit apparaître officiellement le nom de l’Union Sportive Clunysoise.

Les règles de fonctionnement de la section sont strictes, et donnent un éclairage précis sur la manière dont on pratiquait le football à Cluny au début du 20e siècle. On apprend ainsi que ​​la saison de football commence le 1er dimanche de septembre et se termine le dernier dimanche de mai, tandis que la saison d’athlétisme commence le 1er dimanche de juin et se termine le dernier dimanche d’août. 

La cotisation d’entrée est fixée à trois francs, et le prix de la licence est fixé à deux francs, qui doivent être versés chaque mois. Pour avoir le droit de “matcher”, il est indispensable d’être muni de sa licence et de sa carte de membre de la société. Les membres dont la cotisation mensuelle n’est pas payée sont exclus, même s’il est accordé “un délai de quinze jours aux membres qui seraient gênés à ce moment”.

Sur le terrain comme en dehors, la discipline doit régner : 

Les convocations aux matches sont affichées au Café du Nord, au plus tard le samedi à 13h pour le dimanche.

L’Union Sportive Clunysoise prête les maillots à ses joueurs, qui jouent en jaune et noir, culotte noire pour l’équipe première ; et bleu et jaune, culotte blanche, pour la 2e équipe. Chacun est responsable de son équipement, qu’il doit marquer à ses initiales et entretenir avec le plus grand soin.
Les ballons sont confiés au capitaine de chacune des équipes, et la société achète également une boîte à pharmacie pour les coups durs. La moitié des frais individuels de déplacement sont pris en charge si la somme dépasse cinq francs, sauf pour les matches de sixte où la totalité des frais sont payés. 

Enfin, les jours de match, le billet d’entrée pour les spectateurs est fixé à 50 centimes, et le vin chaud est offert aux joueurs !

Au plan administratif, on ne rigole pas non plus : le bureau est nommé pour une période de trois mois uniquement. Chaque trimestre, l’assemblée générale est convoquée en salle de la Justice-de-Paix pour entendre les rapports sur “la situation sportive, financière et morale” de la société, et reconduire (ou renouveler) le bureau. La participation aux réunions est obligatoire et la troisième absence injustifiée est passible d’exclusion.

Ces statuts confirment également qu’aucun stade n’existait à l’époque : parmi ses dépenses obligatoires, l’Union Sportive Clunysoise doit louer un terrain en Bel-Air pour ses matches comme pour ses entraînements.

De l’USC à l’ASC… puis à l’USC

La première victoire qui est parvenue jusqu’à nous dans les archives écrites est celle du 22 janvier 1922, quand l’équipe première bat la sélection de Dompierre-Matour sur son terrain par 3 buts à 0. Il semble que cela soit l’un des tout premiers matches des Clunisois (voire leur première victoire) car le chroniqueur félicite les progrès effectués par cette “jeune société” de football-association.

L’histoire ne retenant que les vainqueurs, une nouvelle victoire est célébrée le 19 mars 1922 à l’extérieur face au tout jeune CASG, le Club athlétique et sportif de Givry-près-l’Orbize, créé en décembre 1921. Le chroniqueur chalonnais aurait probablement espéré une victoire de son équipe de cœur, attribuant le but vainqueur de Cluny à une faute d’un arrière givrotin qui gêna son gardien, qui plus est remplaçant. Même si “le match nul eût mieux convenu”, la partie fut “agréable et tout de beau jeu”.

Givry, vers 1909 (Archives départementales 71).

Cette première saison de football-association réalisée, place à la saison athlétique début juillet, et l’organisation de courses pédestres à l’occasion de la fête nationale, sous les bons auspices de la municipalité. 
Les épreuves de 100, 400 et 800 mètres “exclusivement réservées aux jeunes gens de Cluny” se courent à l’abbatiale et de “nombreux prix en argent et en nature” récompensent les coureurs. Au-delà du pur aspect sportif, il s’agit évidemment de mettre en avant les capacités physiques et morales de la jeunesse clunisoise, qui doivent faire honneur à la Cité, et donc à la Patrie.

On ne trouve bizarrement aucune trace écrite des deux saisons suivantes (1922 et 1923), mais l’actualité footballistique rebondit en septembre 1924 où l’on apprend tout à la fois : 

  • que le District de Saône-et-Loire s’est installé à Chalon, et qu’il dépend de la Ligue de Bourgogne-Franche-Comté, installée à Dijon (bien avant que les deux régions ne fusionnent !),
  • que les licences sont désormais du ressort de la Ligue (ce qui est toujours le cas aujourd’hui),
  • et que l’Union Sportive Clunisoise évolue en championnat de 2e série, soit en dessous des divisions d’honneur et de promotion, qui comptent chacune 6 clubs.

C’est donc une vingtaine d’équipes qui évoluent alors dans le département (contre plus de 140 en 2023 !). Dans le groupe A, Cluny rencontre le CAS de Givry et l’Association sportive de la Grosne (de Saint-Ambreuil). Le groupe B est composé de l’AS Varennes-Saint-Sauveur, l’Étoile Louhannaise et l’AS brangeoise.
Quelques annonces et résumés de matches permettent de suivre l’évolution des “soccers” de l’US Cluny au fil des saisons.

Jusqu’en 1927 où se produit une petite révolution dans le monde sportif clunisois : la section de football-association prend son indépendance de la Société de tir et se constitue en une société indépendante, l’Association Sportive Clunysoise
Preuve que la confusion règne autour de ce changement de statut, l’USC est parfois citée à la place de l’ASC dans la presse d’époque, comme en ce jour de mars 1928 où le club se retrouve en finale du championnat de 2e série départemental au stade des Alouettes de Montceau (on vous en reparle bientôt).

L’AS Cluny fait ensuite les beaux jours de l’athlétisme et du football-association clunisois pendant une quinzaine d’années, avant que la Seconde Guerre mondiale ne la fasse à son tour disparaître. Elle renaît une dernière fois en mai 1947 sous son nom d’origine, l’actuelle Union Sportive Clunysoise, association multisports dont les deux sections de football et de rugby existent toujours (cette dernière ayant pris son indépendance en 1979). Mais ce seront d’autres histoires à raconter plus tard !


  • Sources : Archives départementales de Saône-et-Loire | Le Courrier de Saône-et-Loire | Journal officiel de la République française | Thierry Terret – Histoire du sport | Archives privées.
  • Photos : Archives départementales de Saône-et-Loire | Collections privées.
  • Image de couverture : illustration du jeu “Les canonniers” (1965).
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