Sans le savoir, peut-être traversez-vous chaque jour l’un des plus anciens stade de Cluny… au volant de votre voiture ! On vous raconte l’histoire mouvementée du terrain de sport du Prado.
Il suffit parfois d’une petite phrase au milieu d’une archive pour que tout un puzzle se mette miraculeusement en place : alors que l’on était depuis plusieurs mois sur la piste de l’emplacement exact du stade du Prado (à la place du parking ? plus au sud vers la Poste ? plus au nord vers le Médasson ?…), c’est un courrier adressé au Préfet de Saône-et-Loire daté du 30 novembre 1940 qui nous a offert la pièce manquante…
Le premier stade municipal
La présence d’un terrain de sport au Prado est loin d’être un mystère : jusqu’à une période récente, les boulistes s’y adonnaient encore à de nombreux concours sur la cendrée, avant que le boulodrome des Griottons (inauguré en 2008) ne leur offre des terrains de jeux plus adaptés aux exigences modernes.
Ce que l’on sait moins, c’est qu’un stade existait au Prado dès les années 1930, et que sans sa destruction, le stade Jean-Renaud n’aurait probablement jamais vu le jour.
Les archives écrites de l’entre-deux-guerres témoignent de la présence d’au moins trois terrains de sport à Cluny dans les années 1920-1930 :
- le terrain « de la Filature » ou « de la Gravière » était situé, comme son nom l’indique, entre le quartier de la Gravière et la filature Bretin-Billot (et non “Millot” comme cela est parfois écrit par erreur), à proximité du pont de l’Étang et de l’actuelle avenue Charles-de-Gaulle.
- le terrain de Bel-Air se trouvait probablement pas très loin de son emplacement actuel à la Grangelot, sur le sommet plat de la colline, à proximité de l’École pratique.
- enfin, le terrain du Prado, en bord de Grosne vers le pont de la Levée, est le seul à recevoir le qualificatif de « stade » dans les différents écrits.
Plusieurs indices laissent à penser que le Prado serait ainsi le premier stade municipal de Cluny, les autres terrains étant plutôt des pâtures laissées à disposition des sociétés sportives par leurs propriétaires respectifs.
Les archives font mention pour la première fois du « nouveau stade du Prado » à l’été 1928, quand l’équipe de football de l’AS Cluny s’y retrouve pour ses premiers entraînements de la saison 1928-1929 « les dimanches soirs, à partir de 13h30 ».
On retrouve ensuite de nombreuses mentions du « stade du Prado » dans la presse, que ce soit au sujet de l’équipe de football de l’ASC ou de celle de l’école des Arts & Métiers. Plusieurs derby clunisois s’y déroulent entre les deux équipes, dont le premier a lieu le dimanche 7 octobre 1928 (score final, 2 buts partout, à l’issue d’un match très serré).
On y célèbre aussi des victoires importantes, comme ce 3 mars 1929 où l’ASC reçoit en championnat « l’excellente équipe de Gueugnon, qui fut imbattable cette saison ». Mais impossible n’étant pas Clunisois, l’ASC sort vainqueur (4-2) de ce match joué devant « un très nombreux public » venu voir cette belle partie.
Enfin et surtout, le stade du Prado devient le terrain de sport quotidien des 260 élèves des Arts & Métiers de Cluny, qui ne disposent à cette époque d’aucun terrain de jeux à l’intérieur de l’enceinte abbatiale.
Priorité aux automobiles
Mais pendant les Années folles, le progrès avance et avec lui le développement des transports automobiles, qui commencent à saturer le centre-ville de Cluny. Car à cette époque, la route nationale 80 entre Montceau-les-Mines et Mâcon traverse le bourg médiéval, entrant par le Champ-de-Foire et la rue du Merle pour ressortir rue de la Levée (et vis-versa dans le sens Mâcon-Montceau). Des voitures, camions et autocars de plus en plus nombreux se croisent au milieu des rues étroites, bouchonnent quand une livraison est en cours, ou provoquent des accidents.
Au mitan des années 1930, la construction d’un contournement de Cluny est décidée par l’État. Plusieurs hypothèses sont étudiées par le service des Ponts-et-Chaussées, qui finit par retenir l’aménagement d’une déviation entre la Croix de Mission et le pont de la Levée, où la route nationale 80 retrouvera son tracé d’origine.
Malheureusement, cette nouvelle route traverse dans toute sa longueur le stade du Prado, sacrifié sur l’autel du progrès automobile.
Pour se rendre compte de l’ampleur des travaux, faites glisser le curseur de gauche à droite sur l’infographie ci-dessous, où le stade du Prado est entouré de rouge ; en 1945, la route nationale le traverse de part en part, et des jardins ont pris place sur les parcelles restantes.
La disparition du stade du Prado n’est pas sans conséquence pour la municipalité de Cluny, qui s’inquiète (dans ce fameux courrier du 30 novembre 1940 récemment retrouvé dans les archives) de savoir où ses 1220 élèves de tous âges pourront pratiquer leur éducation physique obligatoire (sans compter les membres des sociétés sportives locales, qui se retrouvent sans terrain pour s’entraîner et rencontrer leurs adversaires).
Pourtant, le conseil municipal de Cluny s’est enquis dès juin 1937 de la possibilité d’acheter un terrain de l’autre côté de la Grosne pour y implanter son nouveau stade municipal (le futur stade Jean-Renaud). Mais les événements de 1939 en ont décidé autrement…
Le retour des sportifs au Prado
On reparlera en détail de la construction du stade municipal dans un prochain article. Car le terrain du Prado mérite que l’on s’arrête encore un peu sur son histoire.
Vingt-cinq ans après la construction de la déviation de la nationale 80, l’emplacement de l’ancien stade est encore très visible. Les arbres plantés au bord de la route ont bien poussé, et tous les terrains qui n’ont pas été conquis par la route l’ont été par des jardins familiaux bien ordonnés.
Le parc de l’ancienne ciergerie de l’abbaye est toujours bordé d’arbres et le chantier de la gendarmerie se dessine le long de la Grosne.
Il faut attendre les années 1970 pour voir des sportifs de retour au Prado, avec l’aménagement du premier boulodrome extérieur le long du mur nord, face à la nouvelle gendarmerie. Les jardins familiaux perdent du terrain pour se replier entre la route et la Grosne, où ils prospèrent encore aujourd’hui. Il devient alors bien difficile de retrouver les contours de l’ancien stade, qui s’effacent peu à peu.
Ces années sont aussi celles de la création la Pétanque Clunisoise, dont le siège est au café du Champ-de-Foire.
Le boulodrome double rapidement sa surface à la fin des années 1970. Une buvette apparaît le long de la rue porte de Paris, et les arbres qui fermaient le jardin de la ciergerie sont abattus (mais pas le grand cèdre heureusement !). Du côté de l’ENSAM, un terrain de grands jeux est aménagé sur la pelouse bordant les ateliers, avec l’installation de cages de football.
Les années 1980 sont celles des plus grands changements dans le quartier : pêle-mêle on remarque la construction des salles de réunion du Prado, celle de la nouvelle poste ou encore de l’hôtel Saint-Odilon de l’autre côté de la Grosne. Un premier parking (en terre battue) fait son apparition dans l’angle sud de l’ancien stade du Prado, dont il est désormais impossible de retrouver la trace sans un œil avisé.
Toujours plus d’autos
L’histoire du terrain de sport du Prado trouvera son épilogue en 2017, avec l’aménagement du parking actuel de 175 places, remplaçant celui qui avait pris place à côté de Cluny-Séjour une vingtaine d’années plus tôt.
Entre temps, un nouveau boulodrome a été aménagé aux Griottons et, dans l’enceinte abbatiale, les Gadz’arts ont gagné deux terrains de tennis et un terrain de handball, bien visibles dans les années 2000 le long d’une belle allée reliant le parterre principal à la tour Ronde. Une nouvelle résidence étudiante a également été construite près de la poste.
En 2020, les parkings ont conquis presque tous les espaces verts du Prado et, au nord, le Haras national devenu Équivallée s’est étendu de part et d’autre de la route désormais départementale.
Seul le mur d’enceinte coupé en deux par la route départementale témoigne encore aujourd’hui de ce que fut l’éphémère stade du Prado, l’un des premiers terrains de sport de Cluny.
- Sources : Archives municipales de Cluny | Bibliothèque nationale de France | Archives privées.
- Photos aériennes : Institut géographique national (IGN).