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La (très) brève histoire du sport ouvrier à Cluny

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En cette veille de fête du travail, on vous partage nos recherches sur l’Association sportive du travail de Cluny, qui semble n’avoir eu qu’une très brève existence avant la Seconde Guerre mondiale.

On aurait aimé vous raconter plein de choses sur l’émergence du sport ouvrier à Cluny, à l’image des grandes sagas de Sochaux avec les usines Peugeot, Clermont-Ferrand avec Michelin, ou Saint-Étienne avec Casino. Malheureusement, les archives locales restent (pour l’instant ?) très pauvres à ce sujet.

Spoiler alert (comme on dit en bon français !) : si cette enquête ne nous a pas permis d’en savoir beaucoup plus sur l’Association sportive du travail de Cluny (dernière association créée dans la commune avant la Seconde Guerre mondiale, en août 1938), elle nous a cependant incité à nous plonger dans l’histoire du sport ouvrier en France, et à retrouver quelques anecdotes sur les débuts de l’industrie clunisoise.

Le sport comme instrument de la lutte des classes

Dans son “Que sais-je” sur l’histoire du sport (qui nous sert de repère dans ce travail de recherche), l’historien Thierry Terret rappelle que l’entre-deux-guerres a vu émerger en France de nombreux mouvements sportifs “affinitaires”. 

On pourrait notamment parler longuement du sport féminin (avec le combat encore trop méconnu d’Alice Milliat dans les années 1920, qui s’est opposée à la vision machiste de Pierre de Coubertin) ; ou du sport éducatif porté dans les années 1930 par l’UNEF, syndicat étudiant de gauche dont les idées seront largement reprises par les ministres du Front populaire Jean Zay et Léo Lagrange entre 1936 et 1938.

De son côté, l’Église met en œuvre une organisation du sport conforme à ses valeurs (en séparant notamment les hommes et les femmes, qui bénéficient de sociétés dédiées dès 1920). Le sport catholique s’oppose au professionnalisme, recrute principalement dans les milieux populaires, et devient même le principal vecteur de diffusion du basket-ball en France, un sport introduit dans le pays en 1893 par l’Union chrétienne des jeunes gens… la célèbre YMCA (Young Men’s Christian Association).

Un match de basket-ball féminin à Paris, le 3 octobre 1920 à l’occasion de la 12e fête athlétique du Fémina Sportle club omnisports dirigé par Alice Milliat (Agence Rol / Gallica – Bibliothèque nationale de France).

En l’état actuel des recherches, ces mouvements semblent avoir très peu atteint le Clunisois des années 1920-1930, au contraire du sport ouvrier, qui s’organise dans une France où les villes prennent progressivement le pas sur les campagnes, sur fond d’exode rural depuis la fin du 19e siècle. 

Le sport ouvrier s’organise d’abord autour de mouvements communistes et socialistes, qui partagent un même combat contre le “sport capitaliste” dont les Jeux Olympiques rénovés de Coubertin sont (déjà) le symbole. 
Puis les différentes fédérations fusionnent en 1934 au sein de la FSGT, la Fédération sportive et gymnique au travail, qui sera l’un des fers de lance de la politique sportive du Front populaire, avec l’UFOLEP (Union française des œuvres laïques d’éducation physique), fédération directement issue de l’éducation populaire (dont on reparlera sûrement, tant ce mouvement a marqué l’histoire du sport à Cluny). Aux origines différentes, les deux fédérations partagent les mêmes valeurs, et font la promotion du sport comme outil d’éducation et d’émancipation, convivial, laïc et ouvert à tous.

Cluny, cité industrielle

Comme partout, le Clunisois à dominante rurale du 19e siècle est progressivement touché par la révolution industrielle, bien qu’un peu plus tardivement que les grands centres locaux comme Le Creusot (dont la dynastie Schneider fera un empire industriel à partir de 1837).

Il faut dire que l’installation des premières usines ne s’est pas faite sans heurts à Cluny. En témoigne une violente controverse qui agite le conseil municipal en 1852, au sujet de l’installation d’une filature de soie dans l’aile nord du transept encore debout. D’un côté, les tenants du progrès technique défendent un projet qui bénéficiera à l’économie locale. De l’autre, les conservateurs soupçonnent les élus de vouloir “empêcher à tout jamais une institution religieuse de s’établir à Cluny” en perpétuant le “vandalisme” révolutionnaire. En creux, cette polémique révèle surtout les tensions qui existent autour d’un monde rural en plein changement.

Car l’époque est aussi au développement du chemin de fer (grâce aux premières compagnies privées) qui ouvre Cluny vers les grandes villes : le 16 août 1870, la compagnie des Dombes met en service la première ligne entre Paray-le-Monial et Cluny, suivie, le 20 octobre 1888, par celle entre Mâcon et Chalon par la célèbre compagnie PLM (Paris-Lyon-Méditerranée).

On passe ainsi de la locomotion animale qui limitait fortement les distances (par chars à bœufs pour les marchandises, et voitures hippomobiles pour les voyageurs), aux locomotives à vapeur qui permettent de parcourir plusieurs dizaines de kilomètres en une journée. 

L’accélération du transport des hommes et des marchandises facilite également le développement du commerce. À Paris, les Chalonnais Aristide et Marguerite Boucicaut inventent en 1852 le concept du “grand magasin” avec Le Bon marché. C’est à peu près à la même époque que naît le grand bazar À la ville de Cluny sur la place des halles, copie de son grand frère À la ville de Lyon créé en 1856.

Sans surprise, c’est la présence abondante de bois dans les forêts, et d’eau avec la Grosne et ses affluents (soit les mêmes arguments qui ont présidé à l’installation des moines au 10e siècle) qui permettent à Cluny de bénéficier des premières innovations technologiques que sont la mécanisation hydraulique et à vapeur. 

En remontant la Grosne depuis le sud, on croise bien sûr la filature de laines Bretin-Billot qui s’est installée sur le bief des Quatre-Moulins au bout de la digue construite par les moines de Cluny, puis le moulin du pont de l’étang qui produit des huiles en tout genre du côté de la gare. Plus loin sur le Médasson, la “scierie hydraulique et à vapeur” de M. Bénasse (puis Devif) a laissé son nom à l’actuelle annexe du Haras “La scie”. 

Et l’on peut continuer ainsi vers l’usine hydraulique de Merzé et ses filatures de crin animal, jusqu’à Massilly bien sûr, où Robert Bindschedler rachète un moulin le long de la Grosne en 1911 pour y installer l’usine de ferblanterie qui deviendra la multinationale que l’on connaît.

À Cluny, Auguste Pardon fonde une menuiserie industrielle en 1923 tout près des Quatre-Moulins, connue tout d’abord sous le nom de Pardon et Cie, avant de devenir la Menuiserie Lyon Standard (MLS). 

Les faits divers retiennent surtout les accidents du travail, qui ne sont pas rares au début des aventures industrielles : en février 1925, le contremaître-menuisier Louis Hérard se blesse gravement à la main droite ; en avril 1926, l’ouvrier Gilbert se fait prendre la main gauche dans une toupie qui lui sectionne trois doigts ; en octobre 1928, le chef d’équipe André Dubois se fait happer par une tenonneuse qui lui fracture le bras gauche dont les chairs sont déchiquetées… pour ne donner que quelques exemples de cet horrible inventaire. 

Tout au long des années 1930, l’entreprise grandit, achète du bois dans les forêts alentours, recrute à tous les postes. On assiste aussi aux premiers conflits sociaux, avec une grève pour de meilleurs salaires relatée en décembre 1928.

Article paru dans le Courrier de Saône-et-Loire du 30 décembre 1928 (Bibliothèque nationale de France).

Au fil des rachats, la MLS deviendra un temps une usine du Groupement industriel de manufactures de menuiseries (GIMM), puis prendra son nom actuel d’Oxxo en 1991. 

Le sport ouvrier s’organise à Cluny

Il faut donc attendre 1938 et la création de l’Association sportive du travail pour voir le sport ouvrier s’organiser à Cluny en tant qu’entité propre. Cela veut-il dire que les ouvriers ne faisaient pas de sport avant cette date ? Bien évidemment non ! L’offre sportive était presque pléthorique à Cluny avec, on l’a vu précédemment, de nombreux clubs créés au début du 20e siècle : sur les 42 associations déclarées en préfecture en 1901 et 1939, 16 sont des sociétés sportives !

L’émergence de l’AS du travail de Cluny en août 1938 semble plus avoir à faire avec le mouvement général d’organisation du sport socialiste et populaire au niveau national, qu’avec une pure dynamique locale. Les statuts conservés par les Archives départementales de Saône-et-Loire nous apprennent ainsi que l’association se place dès son article 2 sous les auspices de la FSGT (créée quatre ans plus tôt). Elle entend pratiquer essentiellement l’athlétisme et le basket-ball, ce qui en fait la première association clunisoise à mentionner ce sport encore nouveau en France.

Couverture du numéro 250 de “Sport”, l’organe de communication officiel de la FSGT, le 1er septembre 1939,  (Gallica – Bibliothèque nationale de France).

Les statuts de l’AS du travail à Cluny nous rappellent aussi qu’il n’était pas étonnant à cette époque de voir un mineur travailler, car la bascule entre les cotisations des enfants et des adultes est fixée à l’âge de 15 ans. Jusqu’en 1959, il était en effet possible de travailler dès 13 ans, et ceci bien que l’instruction scolaire soit théoriquement obligatoire jusqu’à 16 ans depuis la loi de Jules Ferry en 1882.

Une dernière archive retrouvée rend compte de la composition du premier (et probablement) seul bureau de l’Association sportive du travail à Cluny. Le président en est Georges Maurice, un professeur résidant rue d’Avril. Un autre professeur, René Richard, est élu secrétaire, secondé par Antoine Desbois, repousseur de métaux, domicilié à la Cras sur la commune de Lournand. Le trésorier et son adjoint sont respectivement Antoine Sotty, monteur des PTT résidant rue Joséphine-Desbois, et Louis Gaudinet, scieur, habitant la Chanaise. 

Le dernier nom mentionné sur ce procès-verbal est celui d’Alphonse Revel, désigné comme “garçon” à l’école des Arts-&-Métiers, et nommé “secrétaire sportif”. On imagine qu’il était chargé de l’administration des compétitions… mais cela reste à l’état de supposition, car aucun autre document sur la vie de cette association n’a pu être retrouvé à ce jour. 

Il faut dire qu’à peine un an plus tard, la Seconde Guerre mondiale éclate. Le sport n’est alors plus une priorité, et une enquête de police menée après-guerre indique que l’association est dissoute. A-t-elle seulement eu une véritable activité ? Si un lecteur en sait plus, qu’il n’hésite pas à partager ses souvenirs !


  • Sources : Archives départementales de Saône-et-Loire | Archives du Courrier de Saône-et-Loire | Archives privées | Thierry Terret – Histoire du sport.
  • Photos : Collections particulières, sauf mentions contraires.
  • Photo de couverture : Diplôme décerné par la FSGT au Blanc-Ménil (Seine-Saint-Denis) 1934, Gallica – Bibliothèque nationale de France.

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