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Bâche et copeaux de bois : les débuts du judo clunisois

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Beaucoup de débrouille et pas mal de déménagements : c’est ainsi que l’on pourrait résumer les premières années du Judo-Club Clunisois, à une époque où le Cosec de la Grangelot n’existait pas encore.

Tout commence en 1965, du côté de l’École des Arts, où une poignée d’élèves pratique le judo depuis quelques années (sport qui a été introduit en France à la fin des années 1930 à l’initiative d’intellectuels, chercheurs et journalistes).

L’idée de créer un club à Cluny revient à Jean Martinot (agent de l’ENSAM et moniteur de gymnastique à La Clunysoise) qui réunit autour de lui quelques collègues des ateliers dont Sylvain Martin et Robert André. Jacques Picard, élève et ceinture noire, se propose d’assurer les cours bénévolement, rejoint rapidement par un autre camarade ceinture noire, Robert Conan. Le Cercle Judo Mâconnais (où Jean Martinot est licencié) accepte de placer la section de Cluny sous sa responsabilité (moyennant finances). Tous les feux sont donc au vert, mais il manque le plus important : un lieu où s’entraîner !

À cette époque, le magasin de vêtements “Le Printemps” de M. Pabiou, situé rue Filaterie, est en travaux. Le commerçant accepte de prêter une partie de son local. Un tapis de 25 mètres-carrés est confectionné par les bénévoles à base de 20 cm de copeaux de bois récupérés à la menuiserie industrielle Pardon (l’usine Gimm, actuellement Oxxo) recouverts d’une bâche de camion d’occasion. On imagine la poussière ! Les murs tapissés d’aggloméré et des traversins diposés autour du tapis sont sensés amortir les chocs des 16 premiers licenciés. En mars 1965, le judo-club de Cluny est né !

De gauche à droite : Robert André, Sylvain Martin, MM. Janiau, Morcel et Jean Martinot, sur leur premier tapis chez M. Pabiou, en 1965 (archive privée).

Les premiers mois sont quelque peu chaotiques et l’équilibre financier précaire. En 1966, un élève du lycée technique (que l’on appelait pas encore officiellement La Prat’s), Maurice Tachon, propose de prendre contact avec le club de Montceau-les-Mines où il est licencié. Le Judo-Club Montcellien accepte d’accueillir les Clunisois et de porter (gratuitement cette fois-ci) l’encadrement administratif et sportif du club. La direction technique est assurée par Mohamed Zemzemi, figure du judo dans le pays minier et pédagogue hors-pair (il deviendra le premier  judoka de Bourgogne à obtenir la ceinture noire 6e Dan en 1991). De leur côté, les Clunisois font le trajet à Montceau-les-Mines une semaine sur deux pour leurs entraînements.

Le tatami chez M. Pabiou, en 1965 (archive privée).

Un premier déménagement a lieu en 1967, où le judo-club rejoint un local municipal à l’étage de la salle de Justice-de-Paix. Un nouveau tapis est confectionné pour l’occasion, avec 40 mètres-carrés de paille et de feutre recouverts d’une nouvelle bâche. Seul bémol, le local étant partagé avec les sapeurs-pompiers, il faut monter et démonter le tapis à chaque entraînement. Il y a alors une trentaine d’adhérents clunisois, et les premières ceintures jaunes sont décernées sous l’autorité de l’instructeur Roger Conan.

La même année, Sylvain Martin et Robert André prennent respectivement en charge la trésorerie et le secrétariat général de la section de Cluny sous la présidence du Judo-Club Montcellien. Ils entament également le passage des différents niveaux jusqu’à la ceinture noire (qu’ils obtiendront ensemble à Nevers le 7 juin 1970).

À l’étage de la salle de Justice-de-Paix, en octobre 1967 (archive privée).
De gauche à droite : Robert André, Maurice Tachon, Sylvain Martin (accroupi) et Denis Martin (son fils), à l’étage de la salle de Justice-de-Paix en 1968 (archive privée).

1967 est également l’année de construction de l’école maternelle des Tilleuls sur les pentes du Fouettin, qui sont alors couvertes de jardins familiaux. La rue Anne-Marie-Javouhey n’est pas tracée, pas plus que la rue Léo-Lagrange et seules quelques fermes se partagent le coteau de Bel-Air. L’école Marie-Curie, tout comme le Cosec et le lotissement de la Grangelot sont bien loin d’exister !

Le quartier du Fouettin, en 1965 (Institut géographique national). 

La création de la nouvelle maternelle permet au judo-club de rejoindre son premier local dédié en 1968, dans les locaux libérés par l’ancienne école (à l’emplacement actuel de la résidence Bénétin, qui sera construite en même temps que le Cosec). Même s’il faut allumer le vieux poêle à bois avant chaque entraînement l’hiver, le confort s’améliore. Le tapis de 40 mètres-carrés est reconstitué, et monté sur pneus. Le nombre de licenciés grimpe à 70 ! Les entraînements se succèdent, encadrés par Robert André et Sylvain Martin, désormais ceinture marron et qui préparent leur diplôme d’enseignant une fois par mois à Chalon-sur-Saône. Les échanges sont toujours nombreux avec les judokas montcelliens mais également avec les clubs voisins de Mâcon et Matour. 

Dans la première salle de l’école maternelle, en 1970 (archive privée).

Jusqu’à présent uniquement réservés aux adultes, les cours de judo s’ouvrent aux jeunes à la saison 1970-1971. Pour l’occasion, le club agrandit ses locaux et abat une cloison entre deux anciennes salles de classes de la maternelle et confectionne (encore !) un nouveau tapis, dont la surface totale passe à 88 mètres-carrés (toujours en pneus, paille, feutre et bâche).
La première section enfantine compte 22 licenciés et avec elle arrive le premier père Noël du judo !

Avec la première section enfantine, dans la salle agrandie de l’école maternelle, en 1971 (archive privée).

Le club continue se développer chaque année, et s’ouvre au ju-jitsu en 1972, sous l’impulsion d’un nouvel enseignant bénévole, Yves Lacroze. Surtout, l’année 1973 marque l’émancipation du Judo-Club Montcellien, avec la déclaration officielle de l’association Judo-Club Clunisois en préfecture. Naturellement, Robert André en prend la présidence et Sylvain Martin la trésorerie. Les liens ne sont cependant pas totalement coupés avec le pays minier, car l’encadrement technique reste sous la responsabilité du maître Zemzemi.

Pendant ce temps, la municipalité menée par Gérard Galantucci (maire de 1965 à 1989) continue son travail d’aménagements en faveur de la jeunesse et des sports : l’école Marie-Curie est bâtie à côté du collège ; puis le Cosec de la Grangelot, mis en service en 1975-1976 (sans les terrains de grands jeux, qui arriveront en 1978). Le judo-club bénéficie alors de son premier véritable dojo homologué avec un tapis en mousse de 120 mètres-carrés. Pour permettre aux licenciés de débuter leur saison dans ces locaux flambants neufs, les bénévoles de l’association mettent la main à la pâte et aident les services techniques municipaux à finaliser les accès en gravier juste avant la rentrée scolaire !
Bien plus tard, la salle sera baptisée “Dojo municipal Robert André”… en oubliant un peu le nom de Sylvain Martin, cofondateur du club.

Le quartier du Fouettin, en 1977 avec du nord au sud : l’école maternelle des Tilleuls, l’école Marie-Curie et le Cosec de la Grangelot, ainsi que les nouvelles rues Anne-Marie Javouhey et Léo-Lagrange qui desservent les lotissements de Bel-Air et de la Grangelot en cours de construction (Institut géographique national) : bougez le curseur de gauche à droite pour comparer avec l’année 1965.

Attenante au dojo, la grande salle du Cosec permet désormais l’organisation d’une grande fête annuelle du judo, avec l’accueil des familles et amis. La première a lieu en clôture de la saison 1977-1978, avec un défilé en ville qui réunit (malheureusement sous la pluie) 180 participants emmenés par les majorettes de Saint-Gengoux-le-National et la fanfare de Salornay-sur-Guye. 

Arrivés (rapidement !) dans la grande salle, les judokas se présentent en tenue devant le public, avant d’enchaîner les démonstrations de chutes, immobilisations et projections. Des élèves plus expérimentés présentent ensuite des techniques d’étranglement et de luxation. Après l’entracte assuré par les majorettes et la fanfare, place aux choses sérieuses avec une dizaine de combattants qui s’affrontent sur le tapis, afin de départager leurs points obtenus sur l’année. La remise des récompenses aux élèves par le maire Gérard Galantucci clôt avec honneur cette première fête du Judo-Club Clunisois.

Le premier logo, dessiné par Robert André.

Progressivement, Cluny se fait une place dans le paysage des arts martiaux saône-et-loiriens. Plusieurs élèves obtiennent leur ceinture noire (ils sont six en 1982) ou se distinguent dans les compétitions. Le dojo accueille des manifestations d’ampleur, comme ce samedi de 1979 où 220 judokas représentent dix clubs au prix technique départemental : Chagny, Chalon, Digoin, Le Creusot, Montceau, Saint-Marcel, Tournus, Gueugnon, Paray-le-Monial et Cluny.

C’est également en 1979 que s’ouvre une section de judo féminin. Elles sont onze pionnières, guidées par Frédérique Bastianello, première à obtenir sa ceinture marron à Cluny. Dix ans plus tard, elles seront une trentaine et ramèneront de nombreux titres à Cluny. Singrid Dumercy est la première à accéder au grade de ceinture noire en 1990, à l’issue d’une saison extraordinaire (vice-championne de Bourgogne espoirs, vice-championne de Saône-et-Loire, 1ère à Tournus, 2e à Pont-de-Vaux et à la coupe des jeunes arbitres de Saône-et-Loire).

Photo des judokates lors de la saison 1981-1982 (archive privée).

Au fil des années, le nombre de licenciés progresse, atteignant 165 lors de la saison 1981-1982. C’est à la fin de cette saison que l’un des deux pères fondateurs, Sylvain Martin, quitte le judo-club en même temps qu’il prend sa retraite et retourne s’installer dans sa région natale. Chaleureusement remercié lors de la fête annuelle qui clôt désormais la saison, il ne quitte cependant pas le kimono ni les tatamis, son village de retraite ayant bien évidemment un club pour l’accueillir !

Sylvain Martin aux prises avec Robert André, en 1971 (archive privée).

En 1988, comme de très nombreuses associations, le judo-club dispose de son char au corso-fleuri, manifestation organisée par la municipalité (et pilotée par l’infatigable Guy Belot) pour célébrer les 900 ans de la fondation de l’abbatiale Cluny III en 1088. Les judokas choisissent de représenter la porte gothique de la chapelle Jean-de-Bourbon, un travail titanesque, comme pour toutes les associations participantes.

Le char du Judo-Cluny Clunisois au corso-fleuri de la Pentecôte 1988 (archive privée).

Dans l’élan du corso-fleuri, les judokas se mobilisent à nouveau pour confectionner des décors fêtant les 25 ans de leur club en 1991. Six mois de préparation sont nécessaires pour réaliser deux chars d’inspiration japonaise dans une grange de la rue de la Levée prêtée par M. Lapalus.

Le dimanche 2 juin, rien ne manque à la fête, pas même le soleil et la chaleur qui sont au rendez-vous. À 15h30, le cortège s’élance du champ de foire au son d’un groupe de samba-brésilienne. Les 140 judokas clunisois sont au rendez-vous, accompagnés de leurs homologues de Charlieu, Viré, Auxerre, Montceau-les-Mines et Perrecy-les-Forges. La fanfare municipale ferme la marche de ce défilé qui s’étire tout au long de l’artère principale de Cluny. Après un temps de recueillement au monument aux morts 1939-1945 rue du 11-août, le défilé repart en musique en direction du bas de la ville, agrémenté de démonstrations tout au long du parcours. Les commerçants ont largement joué le jeu en décorant leurs vitrines sur le thème du Japon et du judo.

Le char dédié aux démonstrations du 25e anniversaire, au départ du Champ-de-Foire, le 2 juin 1991 (archive privée).

Délocalisé exceptionnellement dans la grande salle des Griottons, le gala du judo-club attire une foule nombreuse, qui applaudit les démonstrations deux heures durant. Puis les lumières s’éteignent, et un gâteau d’anniversaire accompagné de vingt-cinq petits judokas tenant chacun une bougie fait son entrée dans la salle, au son d’un Happy birthday entonné par la fanfare. 

Le gâteau d’anniversaire des 25 ans du Judo-Club Clunisois, dans la grande salle des Griottons, le 2 juin 1991 (archive privée).

Un quart de siècle après sa création, le Judo-Club Clunisois compte alors 132 licenciés, majoritairement des enfants.

Dès lors, l’aventure continue. En 1996, le club fête ses 30 ans, à nouveau dans la grande salle des Griottons avec la fanfare, la participation de la gymnastique La Clunysoise et de l’école de danse.
En 1998, la salle de combat du Cosec est agrandie. Le projet est porté par le judo-club, qui obtient une subvention de 96 000 francs du Conseil général pour le financement des travaux. En contrepartie, l’association obtient l’usage exclusif de l’extension (quand le dojo principal était partagé avec les scolaires).

En 2005, Robert André quitte la présidence du Judo-Club Clunisois, qui réintègre alors le club montcellien, entre-temps devenu Alliance Dojo 71 (par la fusion en 1989 des clubs de Blanzy, Montchanin, Saint-Vallier et Montceau-les-Mines, puis la création de la section de Joncy en 2004).

Les deux précurseurs du judo clunisois, Robert André et Sylvain Martin, décèdent à quelques semaines d’intervalle, à l’été 2017. Parfaitement complémentaires, leur engagement bénévole et leur disponibilité auprès des jeunes ont été salués dans tous les hommages qui leur ont été rendus. 


  • Sources : Archives privées | Archives du Journal de Saône-et-Loire.
  • Photos : Collections privées, sauf mentions contraires.
  • Photos aériennes : Institut géographique national (IGN).
  • Merci à Lysiane Martin et François Poncin pour leur confiance.
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